L’or dans l’art byzantin: techniques et significations
De Byzance, quelques choses nous sont restées. Principalement des images. Mais quelles sont-elles, et que signifient-elles ? Sont-elles aussi fastes que l'imaginaire commun nous laisse penser ?
De Byzance, quelques choses nous sont restées. Principalement des images. La pourpre impériale, la monumentale basilique Sainte-Sophie, la liturgie qui laisse une grande place au patriarche et à l’empereur, de grandes mosaïques aux visages sereins… Tout ceci concorde pour laisser un souvenir de faste, de grande opulence.
Après tout, il nous reste « c’est Byzance» dans la langue française, et la langue anglaise a gardé « The city of World’s desires » comme périphrase pour décrire Constantinople. En effet, pendant près de mille ans, entre 395 et 1453, l’empire Byzantin est un lieu de grande production artistique qui connaît beaucoup d’évolutions. De l’Italie méridionale à l’Anatolie actuelle en passant par la Grèce, on ne compte plus le nombre d’églises, de mosaïques, de fresques, de peintures, de bijoux qui fascinaient déjà les voyageurs étrangers. Une des choses qui alimentait beaucoup la convoîtise, notamment des Occidentaux, est l’utilisation de l’or dans l’art. Le métal précieux est particulièrement utilisé dans les œuvres religieuses, mais la production d'œuvres dites profanes, c'est-à-dire, qui ne relève pas du sacré, reste suffisamment abondante pour en parler dans cet article.
Le témoignage du chevalier Robert de Clari durant la quatrième croisade est à ce sujet très intéressant. La promesse d’un butin en or a pu motiver un «povre» chevalier de l’Amiénois comme lui à participer à la quatrième Croisade. La description des richesses qu’il a vu durant le pillage de Constantinople est saturée par la présence de l’or qu’il voit partout. Le métal précieux est utilisé sur une grande variété de supports: mosaïques dans les églises, autels, bijoux, mais aussi manuscrits «chrysographiés» (écrits en lettres d’or) et les fameuses icônes.
Comment expliquer un tel usage du métal précieux dans l’art byzantin ? Cet article se propose d’explorer, en lien avec la thématique des métaux, l’utilisation de l’or dans l’art byzantin, quels en étaient les usages, quelles techniques étaient utilisées et quels effets artistiques ces productions ont sur le le public qui l’observe?
D'abord, une précaution oratoire me semble judicieuse.
Lorsqu’on parle d’or dans l’art byzantin, l’acceptation de l’usage du métal précieux sera large. L'œuvre peut soit être intégralement faite en or comme par exemple la croix de justin II conservée au musée du Vatican, soit être recouverte de lames d’or. Il est fréquent que l'œuvre d’art qui semble être en or est en fait de l’argent doré ou du cuivre doré. On peut aussi dire quelque chose de la clientèle de cet art. La plupart du temps, il s’agit de nobles ou de prélats byzantins, voire la famille impériale elle-même. Tous ces corps apprécient beaucoup le mobilier en métal précieux travaillé par les orfèvres, artisans spécialisés et salariés de la capitale Constantinople. Il était fréquent que les aristocrates et le monarque aient des plats en or, richement décorés, des bijoux ou encore des lustres en or ou en argent. L’empereur Constantin V serait ainsi connu de son vivant pour avoir des vases et objets en or avec des poinçons à son image. Des statues aujourd’hui disparues des empereurs Théophile, Constantin auraient été faites en or ou bien recouvertes d’or selon certaines chroniques, bien qu’on ait jamais pu les retrouver.
Dans ce même cadre non sacré, l’or joue un rôle politique et diplomatique de premier plan.
Pour assurer son prestige auprès des puissances voisines, notamment en Italie et dans les pays des Balkans, représenter la cour impériale avec le plus grand faste était un atout pour les Byzantins La croix de Justin II est à cet égard éloquent quant à l’usage diplomatique des œuvres d’art en or. Donnée par Justin II à l'évêque de Rome pour le peuple romain, elle est haute de 40 cm et large de 30 cm. Sur la face avant, la croix est couverte d’or et de joyaux, notamment des perles. Sur la face arrière, des images de Saint Jean Baptiste et du Christ Pantocrator sont représentées sur les parties supérieures et inférieures de la croix. Sur les parties transversales de la croix, le couple impérial est représenté, soit l’empereur Justin II et son épouse l’impératrice Sophie. Symboliquement le couple impérial est intrinsèquement lié au pouvoir divin. Le Christ domine le monde, mais le couple impérial, et l’empereur en particulier, est son lieutenant sur Terre. Plusieurs chroniques dont celle de Robert de Clari rapporte aussi l’existence d’automates de lions en or, mais aussi d’un arbre, et d’oiseaux en or avec des ailes serties de joyaux. Ces œuvres n’ont pas pu être conservées mais donnent des exemples de ce faste impérial Une telle mise en scène de la gloire de l’empereur byzantin explique sans surprise pourquoi les croisés ont cherché à piller les trésors de Constantinople. L’or dans l’art byzantin profane sert finalement l’idéologie impériale
Cependant, les œuvres profanes ne sont pas les «œuvres d’art» byzantines les plus connues du grand public.
Ni même auprès de la plupart des byzantins à leur époque. En effet, la diffusion des objets en or étant réservés aux familles aristocratiques, au cercle de la cour impériale, et de manière plus large aux ambassadeurs et diplomates étrangers, l’or dans l’art byzantin était beaucoup plus accessible à travers l’art religieux. Je prendrai ici pour exemple les mosaïques d’Osios Loukas réalisées au Xième siècle en Béotie.
Dans la mosaïque de la crucifixion du narthex du monastère, le Christ est représenté en croix, mort, auprès de Saint Jean et la Vierge en pleurs. L'arrière-plan de la scène est surprenant car il est intégralement recouvert d’or. Il n’y a pas de représentation d’espace, et on ne peut pas deviner le moment de la journée non plus. D’une certaine manière, la mosaïque emmène le spectateur dans une scène presque mythique, où le temps et l’espace sont abolis. Dans les mosaïques ou les fresques que l’on peut retrouver dans les églises ou les basiliques, l’or revêt d’une dimension éminemment théologique qui va même jusqu’à dépasser l’aspect symbolique. Dans le cadre de la pensée religieuse byzantine, l’or est un métal de premier choix car il est particulièrement lumineux. La lumière est pour le théologien orthodoxe un moyen d'élever l’esprit de celui qui voit l’image à la contemplation et à la connaissance de Dieu. Par sa matérialité même, l’or amène à la dimension au-delà du monde sensible dans laquelle est Dieu. L’or permet alors d’extraire le spectateur de son époque pour le faire voyager dans un temps sacré où la notion même d’espace est abolie.
Cette logique est aussi de mise pour la réalisation des icônes byzantines. Je prends pour exemple pour appuyer mon propos une icône du XIIe siècle nommée l’icône de l’annonciation du Sinaï.
Là aussi, la représentation du personnage sacré allongée, sans volume, prenant une pose stéréotypée avec un visage serein et agrandi renforce l'aspect intemporel de l’icône. L’art sacré donné par ce moyen la possibilité de connaître les formes intelligibles et autrement invisibles pour le byzantin moyen.
N.B à l’intention des relecteurs de la mine de graphite: il me manque quelques paragraphes et des références bibliographiques à noter pour conclure cet article sur l’or dans l’art byzantin. Cependant, je vous donne déjà à relire tout ce que j’ai pu écrire. Je vous en prie pour donner la critique la plus juste et la plus nécessaire pour m’aider à corriger et à améliorer l’article.
La cartouche
Souvent confinés à des études spécialisées, l’empire byzantin est souvent laissé de côté dans la réévaluation récente que l’on fait du Moyen-Âge dans les consciences populaires. Je trouve cela bien dommage car Byzance est un alter ego de l’Europe, historiquement important pour comprendre comment «l’Occident» a pu se construire. Encore aujourd’hui, certaines conceptions artistiques de l’art byzantin semblent modernes, et peuvent servir de clés interprétatives pour certaines œuvres contemporaines.
Sources :
COLLIOT Régine, « Fascination de l'or à Byzance d'après le chroniqueur Robert de Clari », L’Or au Moyen Âge : Monnaie, métal, objets, symbole, Presses universitaires de Provence, 1983 [en ligne]. Disponible sur : http://books.openedition.org/pup/2751
LAZARIS Stavros, « Sur le statut et l’utilisation de l’or à Byzance : le cas des manuscrits chrysographiés », KTÈMA Civilisations de l’Orient, de la Grèce et de Rome antiques, (n°43) 2018 [en ligne]. Disponible sur : shs.hal.science/halshs-01960215v1
LEMERLE Paul. « Psychologie de l'art byzantin », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, (n°1) mars 1952 [en ligne]. Disponible sur : persee.fr/doc/bude_0004-5527_1952_num_1_1_6685